
Des groupes de pression associés aux compagnies pharmaceutiques qui vendent les médicaments amaigrissants, comme Ozempic et Wegovy, multiplient les efforts pour convaincre le gouvernement du Québec de rembourser leurs produits dès cette année.
La semaine dernière, un organisme du nom de Parlons obésité (PO) lançait un « appel urgent à l’action ». Le gouvernement du Québec fait preuve « d’immobilisme à reconnaître l’obésité comme une maladie », affirme-t-il en réclamant de « réelles possibilités de remboursement public d’options thérapeutiques médicamenteuses au Québec ».
À l’heure actuelle, les médicaments à base de sémaglutide sont seulement remboursés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) pour les patients souffrant du diabète de type 2.
PO, une organisation sans but lucratif, est financée, au moins en partie, par les compagnies pharmaceutiques Novo Nordisk, Bausch, Boehringer Ingelheim et Eli Lilly, qui produisent Ozempic, Wegovy et d’autres médicaments à base de sémaglutide ou du même genre, comme le Mounjaro ou le Contrave.
En entrevue, la conseillère médicale de l’organisme, la pédiatre Julie St-Pierre, dit que les pharmaceutiques n’ont aucun « droit de regard » sur les messages véhiculés par l’organisme et sont des partenaires parmi d’autres.
Pour définir sa campagne d’opinion, PO avait convié à une rencontre en décembre des experts de tous les domaines y compris plusieurs médecins, dont l’ancien ministre de la Santé Yves Bolduc, et des lobbyistes, comme l’ancien conseiller de François Legault Pascal Mailhot, aujourd’hui vice-président de la firme de relations publiques TACT. Le rapport rendu public la semaine dernière résume leur plan de match.
Dans le document, PO ne plaide pas seulement pour l’accès aux médicaments, mais pour une reconnaissance globale des problèmes liés à l’obésité. La nécessité d’inclure les injections dans la liste des produits remboursés de la RAMQ est toutefois très claire.
Son objectif est « que le gouvernement du Québec reconnaisse la maladie de l’obésité et rehausse l’accès aux traitements Québec dès 2025 ».
Un enjeu financier
En plus de la campagne Parlons obésité, les pharmaceutiques multiplient les démarches derrière les portes closes. L’entreprise danoise Novo Nordisk (Ozempic, Wegovy) a plusieurs mandats actifs au registre des lobbyistes du Québec en lien avec le dossier. Ses lobbyistes maison font pression sur le gouvernement pour « la reconnaissance de l’obésité en tant que maladie chronique » et la création d’un « partenariat phare multisectoriel » pour « réduire l’impact sociétal des maladies chroniques et de l’obésité ».
Un autre lobbyiste de la firme Hill & Knowlton a aussi été mandaté pour les convaincre « d’éliminer l’exclusion visant les médicaments aidant à traiter l’obésité ». La compagnie Bausch qui commercialise le Contrave a aussi un lobbyiste de TACT d’inscrit pour convaincre les décideurs de faire en sorte que les traitements de l’obésité ne soient plus exclus du régime public.
Au Québec, c’est l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) qui évalue quels médicaments sont remboursés ou pas. Il en fait ensuite la recommandation au ministre de la Santé. L’automne dernier, l’INESSS a proposé au ministre de la Santé, Christian Dubé, de lancer un projet-pilote sur le recours à ces médicaments. Un projet qui n’a pas encore eu de suites à ce jour, selon nos informations.
Les appels à rembourser les médicaments amaigrissants ne datent pas d’hier, mais se sont intensifiés depuis deux ans. En octobre, les représentants de PO et l’opposition libérale ont tenu un point de presse conjoint au Parlement, pour réclamer que l’obésité soit reconnue comme une maladie et que le médicament soit remboursé. Ce que le ministre de la Santé a refusé.
Au-delà du débat médical sur la question, l’enjeu est financier. Le ministre Dubé est réticent à élargir l’accès à cause des coûts très élevés du médicament. Dans le cas de Wegovy et Ozempic, par exemple, le coût de l’injection mensuelle est de 460 $ et elle est, en principe, prescrite à vie.
D’emblée, des organisations qui le remboursent actuellement cherchent à s’en décharger. En février, un des grands syndicats du milieu de la santé au Québec, l’Association du personnel professionnel et technique, annonçait que son régime d’assurances collectives ne rembourserait plus le Wegovy parce que ça lui coûtait trop cher, rapportait Radio-Canada.
PO fait valoir que les coûts de ces médicaments seraient en partie annulés par la réduction des coûts liés à l’obésité. « Chaque réduction de 1 % de la prévalence de l’obésité entraînerait des gains fiscaux nets d’environ 230 millions de dollars chaque année », avance-t-elle.
La Dre St-Pierre ajoute que « les prix vont chuter » et que « d’ici deux ans », des versions génériques vont faire leur arrivée sur le marché.
Dans le rapport dévoilé la semaine dernière, PO suggère de « commencer » par réclamer l’accès au médicament aux « citoyens les plus vulnérables » comme les gens qui sont en attente d’un cancer ou d’une greffe d’organe par exemple », explique la Dre St-Pierre.
De plus en plus populaire
En attendant, ces médicaments gagnent en popularité. À la télévision, les campagnes de publicité des pharmaceutiques sont omniprésentes et elles mettent désormais en vedette des acteurs et actrices québécois, comme celle qui joue le rôle de la chef des infirmières dans la populaire série Stat.
Étant donné que la réglementation est plus sévère qu’aux États-Unis par exemple, le lien entre le médicament et la perte de poids n’est pas explicite dans les publicités. Pour Wegovy, on se contente d’associer la pilule à la joie ; pour Ozempic, on suggère « de demander » à son médecin.
Or, pour ceux qui le demandent et l’obtiennent, la facture est élevée. Ce qui fait dire à la Dre Julie St-Pierre qu’on crée de nouvelles inégalités. « On est déjà en train de créer des classes sociales en termes de remboursement de la médication au Québec », dit-elle.
« Moi, je m’en fous pas mal des lobbies et des compagnies pharmaceutiques. Ce que je peux vous dire, c’est que je trouve ça assez crève-cœur de sacrifier des gens qui sont très malades et de leur dire qu’il n’y a rien à faire. »