Talena Jackson a ressenti directement les dommages que peuvent causer les préjugés liés au poids. L’histoire de Talena et son expérience de la stigmatisation ne sont que trop courantes dans une société qui continue à considérer l’obésité comme une conséquence du mode de vie plutôt que comme une maladie chronique.
La stigmatisation du poids est devenue omniprésente, s’infiltrant partout, que ce soit dans les médias, les écoles, les lieux de travail et même, ce qui est peut-être le plus préoccupant, dans le secteur des soins de santé. Et c’est au sein du système de santé que Talena a vu ces préjugés se refléter à maintes et maintes reprises.
En tant que défenseure des patients et gestionnaire principale de l’hébergement, des soins aux patients et de l’apprentissage expérientiel dans le secteur de la santé mentale, Talena a subi les préjugés liés au poids, non seulement en tant que patiente, mais aussi comme collègue, de la part de personnes œuvrant également dans le domaine de la santé. Des personnes qui devraient pourtant être mieux avisées.
« J’ai été victime de préjugés sur le poids de la part de collègues qui étaient tellement préoccupés par mon corps et par la façon dont je vivais dans mon corps que cela les empêchait de fournir des soins de qualité aux utilisateurs de services, a déclaré Talena. Dans ces moments-là, la honte s’est insinuée à mes côtés comme un ami indésirable mais familier. Je me suis enfermée dans ma fameuse carapace pour me protéger du venin qui sortait de leur bouche. »
Quand on comprend l’effet que les préjugés liés au poids peuvent avoir sur les personnes qui vivent avec l’obésité, la situation de Talena avec ses collègues paraît d’autant plus grave.
Selon une enquête canadienne sur les indicateurs de santé (2015), environ 30 pour cent, et même plus d’une personne adulte sur trois au Canada, vit avec l’obésité – une cause importante de diabète de type 2, de maladies cardiaques, de certains cancers, d’accidents vasculaires cérébraux, d’hypertension artérielle et d’arthrite.
Alors, quand on vous dit constamment que c’est de votre faute si vous avez des kilos en trop et que tout ce que vous avez à faire pour les perdre est de renoncer aux beignets et de faire plus d’exercice, pourquoi prendriez-vous la peine d’aller chez le médecin ou de chercher des soins appropriés? Et si ces propos venaient de votre propre médecin ou de quelqu’un qui travaille dans le secteur de la santé?
La honte que les personnes comme Talena éprouvent après s’être fait dire que leur obésité est uniquement de leur faute est un élément crucial de ce cercle vicieux. La maladie entraîne une prise de poids. La personne se sent humiliée et se culpabilise. Elle évite les soins médicaux. Les problèmes de santé s’aggravent. La prise de poids se poursuit.
Le gain de poids comme celui que Talena a connu a peu à voir avec la volonté et beaucoup plus avec la biologie et la génétique. Ce sont les processus neurochimiques qui se déroulent dans notre cerveau, transmis par les gènes, qui déterminent notre niveau individuel de faim et d’appétit. Ainsi, perpétuer la fausse idée que l’obésité résulte de mauvais choix n’aide guère les personnes génétiquement prédisposées à la maladie. Il n’est pas surprenant que les personnes en situation d’obésité et de surpoids soient également plus susceptibles de souffrir d’anxiété et de dépression invalidantes.
« De nombreuses personnes en état d’obésité sont également aux prises avec des problèmes d’humeur, d’estime de soi, de qualité de vie et d’image corporelle, indique une étude réalisée en 2018. Cette détresse émotionnelle joue probablement un rôle dans la recherche d’un traitement mais elle peut aussi agir sur le succès du traitement. »
Toutefois, les préjugés sur le poids en milieu de santé – ou dans tout autre contexte – ne sont pas un phénomène général qui s’applique de façon égale à toutes les personnes vivant avec l’obésité. Lorsqu’on introduit d’autres facteurs tels que la race ou le sexe, on constate que les préjugés se multiplient de façon exponentielle.
La discrimination raciale en milieu de santé est déjà un grave problème en soi. Les répercussions du racisme sur la santé des personnes de couleur, des peuples autochtones et d’autres communautés marginalisées sont profondes et multiples et peuvent toucher pratiquement tous les aspects de la santé, de la grossesse à la santé mentale, au traitement de la douleur.
Les Noirs ont tendance à avoir une espérance de vie plus faible que les Blancs, affichent en moyenne une tension artérielle plus élevée et éprouvent plus de difficulté à accéder aux soins d’urgence. Les BIPOC (Noirs, autochtones, personnes de couleur) sont également moins susceptibles de se faire vacciner et risquent davantage de mourir de la COVID-19. Il en va de même pour les BIPOC et les membres des autres communautés marginalisées qui vivent avec l’obésité. En fait, de nombreuses données indiquent que le racisme et l’obésité sont liés et que les taux d’obésité plus élevés que la moyenne parmi les communautés racisées sont en partie un produit du racisme.
Selon le Dr Sean Wharton, directeur médical de la Wharton Medical Clinic, une clinique communautaire de médecine interne et de gestion du poids, les femmes noires ont perdu moins de poids dans sa clinique (plus de 9000 personnes ont participé à son étude) que les femmes blanches. Mais ce n’est pas parce que les femmes noires n’ont pas fait autant d’efforts ou ont participé différemment, c’est parce qu’elles n’ont pas eu accès aux soins.
« Nous ne pouvions pas les rejoindre, elles ne pouvaient pas nous rejoindre, a déploré le Dr Wharton lors d’une conférence sur la santé des Noirs à l’Université de Toronto. Le système n’a pas été conçu pour eux, mais pour ceux qui ont des privilèges. La possibilité de prendre des congés. »
Le traitement de la douleur est un autre aspect du système de santé où la discrimination raciale joue un rôle prépondérant depuis des siècles. Il existe une croyance erronée et enracinée selon laquelle les Noirs ont une plus grande tolérance à la douleur que les Blancs. Non seulement c’est vraiment bizarre que les gens aient cette croyance de nos jours, mais une étude a révélé qu’un nombre important d’étudiants et de résidents en médecine adhèrent également à cette opinion préconçue. Il va de soi qu’un tel préjugé peut avoir des conséquences dangereuses et mortelles pour un patient.
Elle-même une femme noire, Talena a personnellement subi les effets de ce préjugé racial implicite. Elle a été confrontée à une membre du personnel médical qui a fait fi de ses questions et s’est ensuite montrée physiquement agressive lors d’un récent ECG. Après avoir interpellé l’employée, le problème a été résolu, mais Talena estime que cet incident illustre parfaitement le mythe de la tolérance à la douleur.
« Ce mythe est mortel car il a conduit à des diagnostics erronés et à des décès prématurés, a affirmé Talena. En tant que femme noire, je veux activement détruire ce mythe. C’est absolument faux; je ressens la douleur et je veux que la communauté des soins de santé m’entende haut et fort. »
Alors, comment la communauté médicale peut-elle atteindre davantage de BIPOC ou de personnes appartenant à d’autres communautés marginalisées? Comment combler le fossé, éliminer les obstacles à une prise en charge adéquate et mettre fin à la stigmatisation des personnes vivant avec l’obésité, en particulier celles de couleur?
En dehors du grand public, qui se doit de faire activement la promotion de soins appropriés pour que le changement nécessaire ait lieu, une grande partie du travail repose sur les épaules des entreprises, des éducateurs et des prestataires de soins de santé. Ces trois groupes doivent informer les gens sur l’obésité, sur la maladie et sur ses répercussions et implications pour les personnes touchées. Les employeurs peuvent le faire en veillant à protéger les employés qui vivent avec l’obésité, en les sensibilisant et en les aidant à accéder à un traitement adéquat par le biais des avantages sociaux.
De leur côté, les soignants doivent s’attaquer à l’inégalité de l’accès aux soins et à la stigmatisation du poids dans les établissements de santé par l’éducation. La stigmatisation du poids est omniprésente et bien ancrée dans les milieux de santé, même parmi les professionnels spécialisés dans la prise en charge de l’obésité.
Selon un article publié dans la revue The Lancet, les attitudes stigmatisantes conscientes et inconscientes des professionnels de la santé sont un reflet (1) de l’exposition à une stigmatisation constante et généralisée du poids et (2) du manque de formation et d’éducation des professionnels de la santé sur la complexité de l’obésité et sur la façon d’éviter les préjugés et les attitudes stigmatisantes qui peuvent influer sur les soins prodigués aux patients.
Encourager l’utilisation d’un langage centré sur la personne est un bon point de départ dans tous les secteurs, car beaucoup trop de gens emploient encore des formulations dépassées comme « Alex est obèse » plutôt que « Alex est une personne qui vit avec l’obésité ». L’utilisation d’un langage axé sur la personne garantit que les gens en situation d’obésité sont considérés simplement comme des personnes qui vivent avec une maladie. Ils ne sont pas différents des personnes atteintes d’autres maladies qui ne sont pas visibles. Nous ne dirions pas : « Alex est le cancer ».
Promouvoir l’emploi d’un langage mettant l’accent sur la personne dans les milieux de travail, les établissements de santé et les écoles peut aider les personnes en situation d’obésité à se sentir acceptées, respectées et égales.
Les soins basés sur la technologie et la télémédecine sont un autre moyen pour les fournisseurs de soins d’atteindre les communautés qui ont un accès limité.
Le Dr Wharton en a fait une des priorités de sa pratique. « Nous avons travaillé sur des solutions pour corriger ce problème, en utilisant des soins virtuels pour rejoindre les femmes à leur domicile et sur leur lieu de travail, a-t-il déclaré.
L’essor de ces solutions technologiques au cours de la COVID-19 a séduit un grand nombre de personnes au Canada, selon une étude réalisée par l’Association médicale canadienne. L’étude a révélé un taux de satisfaction de 91 pour cent parmi les personnes ayant eu recours aux soins virtuels pendant la pandémie, 75 pour cent d’entre elles estimant que la méthode virtuelle pourrait résoudre certains problèmes existants au sein de notre système de santé et 46 pour cent mentionnant qu’elles préféreraient que la méthode soit leur premier point de contact avec leur médecin.
La télémédecine n’est pas seulement un bon moyen de rejoindre les personnes qui ne peuvent pas se rendre facilement chez un médecin ou à l’hôpital, elle peut être un outil nécessaire pour les professionnels de la santé dans le contexte d’un afflux de malades en période postpandémique qui cherchent à se faire soigner après avoir reporté leur démarche pendant la majeure partie des deux dernières années.
Il ne manque pas de travail à faire dans le domaine de la santé pour aider les gens à accéder aux soins qu’ils méritent tout en démantelant les systèmes discriminatoires en place. À Parlons Obésité, nous avons ces conversations difficiles et cultivons une communauté de personnes partageant les même idées, désireuses de voir le changement se produire.
Nous avons vécu et observé les effets des préjugés sur le poids alliés à la discrimination raciale et nous exhortons les personnes de tous horizons à reconnaître et à contribuer à changer le dialogue autour de l’obésité.
Le 1er décembre, Mme Jackson et le Dr Wharton se joindront à Parlons Obésité dans le cadre de notre série d’événements Manger, jouer, aimer pour une conversation concernant la stigmatisation du poids dans la santé publique et ses répercussions en particulier sur les personnes qui font partie des communautés BIPOC et LGBTQ+ et autres communautés marginalisées.
En attendant, Parlons Obésité s’efforce de donner aux gens les moyens d’être leur propre défenseur en leur fournissant les informations et les connaissances dont ils ont besoin pour lutter en faveur des soins auxquels ils ont droit. Devenir son propre défenseur est un moyen puissant et efficace de s’insurger contre un système défectueux.
Mme Jackson a fait un effort concerté pour faire valoir ses droits, et son histoire illustre à merveille comment on peut prendre en main sa santé et ses soins.
« J’en avais marre de la façon dont j’étais traitée et j’ai décidé que c’était assez. J’ai commencé à faire des recherches sur les médecins de famille dans ma ville et lorsque j’ai trouvé un centre de soins de santé qui semblait être réceptif à mes besoins, j’ai aussitôt changé de centre; je bénéficie aujourd’hui des meilleurs soins et je suis contente de voir mon médecin, a-t-elle souligné. Vous vous souvenez de la scène du Magicien d’Oz où Dorothy saute à cloche-pied sur la route des briques jaunes? C’est à ça que je ressemble quand je vais voir mon médecin. Et je veux que tout le monde se sente ainsi. »
Cet article est rendu possible grâce au soutien de Novo Nordisk ® Canada.